Réponse pénale… réparation morale : ce qu'attend la victime... ce qu'entend la victime

Face à la Justice, on entend très souvent dire que "la victime ne pourra pas se reconstruire tant que l'auteur n'aura pas été identifié" ou  "tant que celui-ci n'aura pas été jugé...".

3 DÉC. 2012 · Lecture : min.
Réponse pénale… réparation morale : ce qu'attend la victime... ce qu'entend la victime

Face à la Justice, on entend très souvent dire que "la victime ne pourra pas se reconstruire tant que l'auteur n'aura pas été identifié" ou  "tant que celui-ci n'aura pas été jugé...". Ou encore, que le deuil ne pourra se faire "tant que le corps n'aura pas été retrouvé...". Effectivement, tout cela n'est pas faux, mais n'épuise pas, pour autant, les enjeux et les attentes propres à chaque individu et, de ce fait, ces généralités socialement admises ne sauraient constituer la règle.

En d'autres termes, ces attentes telles qu'elles sont présentées de manière souvent schématique dans les médias, finissent par devenir des a prioriinscrits dans l'inconscient collectif, laissant croire qu'un procès, un verdict, des obsèques, sont le point de départ, la condition nécessaire et suffisante de tout travail de réparation.

Ainsi "formatées" par le discours ambiant, certaines personnes réclament alors, avec force, le statut de victime en pensant qu'à partir de cette reconnaissance, les choses iront mieux pour elles. Cependant, si cela peut être vrai au niveau de la réparation pénale, dès lors que des démarches d'indemnisation auront abouti, il n'en va pas de même lorsqu'il s'agit de la réparation psychique, en ce qu'elle touche au plus profond de l'intimité.

Aussi, j′ illustrerai cette problématique à partir d′un exemple rencontré en consultation à l'issue d'un procès d'Assises. S'il ne reflète pas exactement cette problématique de réparation telle qu'évoquée précédemment, il n'en donne pas moins une idée du décalage qui se joue, parfois, à l'insu d'une victime, entre ce qu'elle déclare attendred'un procès et ce qu'elle en entend, à un moment donné, notamment quand la Justice se prononce.

Mademoiselle B.

Lorsque Mademoiselle B. se présente, je sais seulement, par la personne qui a pris le rendez-vous, que : "Mademoiselle B. a subi une agression… le procès a eu lieu… l'auteur a été condamné… Mademoiselle B. est de plus en plus déprimée… elle souhaite un rendez-vous"

Avant même de la recevoir, je pense un peu prématurément avoir affaire une fois de plus à l'une de ces situations où une victime se dit déçue par la justice, alors même qu'elle attendait une peine exemplaire pour son agresseur.

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Notre entretien

Mademoiselle B., jeune femme équilibrée, la trentaine, d'un bon niveau intellectuel, débute l'entretien en rappelant d'emblée que le procès est arrivé assez rapidement, s'est très bien déroulé, que l'auteur a été condamné lourdement et qu'elle-même a eu droit à des dommages et intérêts conséquents. Dans ces conditions, elle n'arrive pas à comprendre pourquoi elle sombre maintenant dans la dépression.

S'il est fréquent de rencontrer une sorte de "coup de blues" après un procès lorsque la tension accumulée durant des mois, voire des années, se relâche, un tableau aussi nettement dépressif avait de quoi surprendre au vu d'une décision judiciaire jugée par ailleurs équitable. À mon invitation, Mademoiselle B. relate le déroulement de l'agression, les faits pour lesquels la qualification d'agression sexuelle avait été clairement établie. La victime raconte comment elle a essayé de se défendre, a fait preuve de bons réflexes, et s'en est finalement plutôt bien sortie.

Après un long silence se pose alors la question de savoir pourquoi ce procès tant attendu, qui plus est, lui donne entière satisfaction, déclenche à partir de là un épisode dépressif aussi aigu qu'imprévisible. Déplaçant le centre de gravité de l'investigation en direction des non-dits, des éléments contextuels qui pourraient faire sens après-coupet avoir de la sorte un effet traumatique, nous poursuivons l'anamnèse dans des directions diverses.

Je lui demande si elle se souvient avoir entendu une phrase, un propos, pendant ou immédiatement après les faits, qui aurait pu la blesser, avoir un écho particulier en elle; si elle se souvient d'un détail, fût-il anodin, mais susceptible de l'affecter maintenant. Je lui demande également si elle a pu se confier, à qui, si on l'a crue, soutenue. Enfin, si des paroles avant, pendant, ou à l'issue du procès l'auraient marquée.

Après un nouveau long silence, Mademoiselle B. relate de manière un peu énigmatique, que dans toute cette affaire, le seul moment où elle s'est sentie un peu soulagée, c'est lorsqu'elle a écrit dans son journal intime : "Tu es le second à payer."

Je lui demande alors s'il y avait eu "un premier". La victime évoque à ce moment-là, et avec une émotion contenue, les attouchements qu'elle avait subis à une certaine époque de la part de son beau père, le mal-être qu'elle en avait éprouvé et surtout, le secret pesant qui avait fini par entourer cette affaire. Il était clair qu'un lien existait entre ces événements, mais il ne rendait pas compte à lui seul, du désarroi ressenti lors de la condamnation de son récent agresseur.

Mademoiselle B. évoque ensuite son malaise lorsque ce même beau-père a manifesté avec beaucoup d'assurance, beaucoup d'insistance même, sa volonté d'assister à tout prix au procès, de voir le coupable de ses yeux et être témoin de sa condamnation. Ce beau-père contre lequel elle n'avait jamais pu porter plainte, puisqu'il lui faisait le chantage au suicide si elle faisait éclater la vérité et qui s'octroyait désormais le rôle du justicier dans une affaire impliquant un individu lambda.

Ainsi, au fil de notre échange Mademoiselle B. réalise que ce procès n'était finalement pas celui qu'elle attendait : l'audience d'Assises qui aurait enfin pu sanctionner un drame bien antérieur. Tout s'est passé comme s'il y avait eu "erreur sur la personne", comme si cet agresseur d'un jour payait à la place du coupable d'un autre drame, le drame familial  jamais énoncé, jamais sanctionné, jamais cicatrisé.

Finalement, tout se passe comme si cette dépression pour laquelle elle consultait, venait à l'insu de Mademoiselle B. et en son nom, "faire appel" de la récente condamnation et rappeler que la réponse judiciaire actuelle ne pouvait se substituer à celle qu'elle aurait espérée pour les faits antérieurs. Bref, que nous étions encore loin du solde de tout compte et que le procès devrait reprendre mais avec d'autres acteurs.

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Bien entendu, toute action en justice ne réveille pas le passé sur un malentendu aussi douloureux, mais cet exemple illustre à sa façon la singularité et la subjectivité des attentes en matière de réparation.

Parfois, ce sera la croyance fantasmatique que le procès sera la juste et unique réponse à la souffrance. D'autre fois, et à l'opposé, la certitude qu'aucune condamnation ne viendra jamais à bout du préjudice subi.

Entre ces deux extrêmes, toute la gamme des attitudes alternant dans un mouvement de balancier entre colère et résignation, satisfaction et culpabilité, doute et conviction...

Ce qui est vrai pour une décision en matière Correctionnelle ou aux Assises, l'est également pour d'autres réponses en matière pénale. On comprend mieux pourquoi un Classement "sans suite" (pour la Justice) ne signifie pas pour autant Classement "sans conséquences" (pour la victime). On s'étonne moins qu'un Non lieu, soit souvent interprété comme : "Tout ça n'a pas eu lieu" .

Aussi, lorsque "on rend" la justice, ce que l'on "rend" ne saurait ramener les plateaux de la balance dans leur juste équilibre antérieur. Car ce que l'on reçoit à l'issue d'une procédure présentée comme rationnelle, comble rarement les  multiples attentes nées sur le terrain émotionnel.

Photos : Pixabay

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Écrit par

Maurice Gaillard

D.E.S.S PSYCHOLOGUE & Victimologie - Après une longue expérience auprès des personnes en difficulté professionnelle, il s’est spécialisé dans l′aide aux victimes pour élargir ensuite sa pratique à toutes les personnes en souffrance ou ayant besoin de faire le point sur des moments clefs de leur vie.

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Commentaires 3
  • Paris

    J'ai parfaitement conscience que mon pn ne sera pas forcément puni. Par contre je n'ai pas de doute sur le fait qu'il m'est manipulé ni même violé. J'ai moi même eu une enfance douloureuse avec une mère violente, méchante et pas du tout affectueuse. Elle n'a pas su me donner l'amour que j'attendais d'une mère. J'ai vécu ensuite avec un homme durant 25 ans qui n'a également pas su me donner cet amour, qui me trompait même. Pour enfin tomber dans les bras d'un pn. Il a profité de cette carence affective pour me détruire. Il n'a pas réussi. Je sais que tout est lié, que le chemin sera long... Mais je veux y arriver et je vais y arriver... Nous avons la chance dans notre pays d'avoir des gens compétents comme vous pour nous aider et nous faire comprendre les choses. La justice est là aussi à notre écoute et il faut absolument que nous soyons fortes et que nous portions plainte car c'est la seule façon que nous avons d'être reconnu victimes. Car oui c'est important d'être reconnu en tant que tel.... Bon courage à toutes et tous.

  • diable au grand coeur

    Bonjours, bonsoirs, je sais plus. Je suis originaire du Canada. Après avoir lu votre article, je comprend mieux les faits. J'ai malheureusement tout fuit. Ma famille, mes proches et amis, ne me parle plus beaucoup. J'ai beau voir le psychologue de l'école, cela ne m'aide pas du tout dans mes relations social. J'ai peur d'être prise dans cette solitude incommensurable, s'il vous plait, aidée moi.

  • Psychologue.net

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